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Témoignage de Georgette Saab, présidente de la coopérative de zaatar au Sud Liban (Fair Trade Lebanon)

le 8 mars 2024 par Fédération Artisans du Monde

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous souhaitons mettre à l’honneur le témoignage de Georgette Saab, femme libanaise dirigeant la coopérative de Qawzah et productrice de zaatar, mélange d’épices traditionnel. Déplacée interne du fait du conflit entre Israël et le Hezbollah au Sud Liban, elle nous partage son histoire de vie.

 

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre coopérative ?

 

Beaucoup de personnes migrent vers les villes car elles ne peuvent plus travailler dans les villages ruraux. Nous nous sommes regroupés dans le village de Qawzah pour créer cette coopérative et pouvoir travailler à côté de chez nous. Nous avons choisi la plante du zaatar qui a un arôme très distingué. Le zaatar est une variété d’origan sauvage qui pousse au Liban, en Jordanie et en Palestine. Cette plante nous tient à cœur car elle est cultivée sur nos terres depuis plusieurs générations. Notre coopérative a été créée en 2012, elle est mixte, composée à la fois d’hommes et de femmes. 

 

En tant que femme, comment avez-vous vécu le fait de prendre la tête de la coopérative ?

 

C’est une grande responsabilité, ce n’est pas facile. J’ai pu dépasser ces difficultés grâce au groupe qui constitue la coopérative. Souvent, la coopérative passe par des moments difficiles mais c’est toujours ensemble que nous trouvons des solutions pour dépasser le problème. Je me suis habituée à avoir recours à tout le monde et à résoudre les problèmes collectivement. Dans ma coopérative, il n’y a pas de représentation dominante des hommes ou des femmes, malgré le fait qu’au Liban, la propriété des terres est souvent aux mains des hommes. 

 

Au Liban, il existe beaucoup de coopératives de femmes dans le domaine de la transformation, qui est habituellement plus féminin. Au niveau de la matière première et du travail de la terre, ce sont les hommes qui sont les plus présents car c’est un travail très dur. La coopérative de Qawzah est un modèle hybride, nous faisons à la fois le travail de la terre et de la transformation. Le travail manuel, la récolte, le nettoyage du zaatar, tout est fait par les hommes et les femmes, nous apprenons les un·es des autres et travaillons toujours ensemble. Même durant la transformation du produit, le travail se fait collectivement. Les hommes et les femmes se mettent d’accord pour être plus efficaces. Nous avons aussi plusieurs terrains séparés, mais nous nous entraidons d’un terrain à l’autre. 

 

Prendre la tête de la coopérative, c’est quelque chose que j’ai fait pour moi, pour ramener un revenu personnellement. Je voulais vraiment devenir indépendante financièrement, je ne voulais pas avoir recours à mes enfants pour avoir une entrée d’argent. J’ai gagné en confiance en moi car j’ai pu faire quelque chose de moi-même, j’ai pu avoir un revenu de par mon travail.

 

Comment les activités de votre coopérative sont-elles impactées par le conflit avec Israël ?

 

La situation au Sud est très tendue, et en particulier dans la région de Qawzah où ils sont en train de frapper actuellement. Le village est situé en position stratégique, en haut d’une colline avec une visibilité sur toute la région, jusqu’à Israël. Nous avons dû quitter le village dès le premier jour. Nous avons laissé nos maisons, nos plantes, c’était très dur. Ce n'était pas le bon moment pour laisser la terre car la récolte du zaatar allait tout juste commencer et nous n’avons pas pu faire le travail. 

 

Tout le village a fui, personne n’est resté. Je suis allé chez mes enfants à Beyrouth. Des villageois·es ont été accueilli·es dans des couvents. D’autres familles déplacées sont allées dans une ville voisine, moins exposée. Ceux et celles qui avaient des maisons hors de la région y ont été ou ont rejoint leurs familles. Toujours et chaque jour, je suis en contact avec les membres de la coopérative. 

 

De temps en temps, nous essayons quand même de retourner au village, mais nous ne restons pas plus de 30 minutes. Nous passons voir les maisons, mais nous n’avons pas pu voir dans quel état sont les terres depuis que nous avons quitté le village car c’est dangereux, il y a des bombardements. La région est survolée par des drones. Quand nous sommes dans des zones à découvert, sans végétation, nous nous sentons très exposé·es. 

 

Tout reprendra normalement, mais pour le moment, nous ne pouvons que prier. On ne sait pas combien de temps cela va durer. Notre maison n’a pas été touchée. Dès que la situation se calmera, nous reprendrons les activités, en espérant que l’on puisse profiter du printemps et de la récolte en juin.

 

Quelles relations entretenez-vous avec les terres où sont cultivés le zaatar ? 

 

Je deviens poète quand il s’agit de cette terre. J’entretiens avec elle des relations d’amitié, de joie. C’est une joie de pouvoir travailler cette terre qui appartenait à des générations avant moi. Ma mère y vivait, et c’est une vraie fierté pour moi. Au début, je n'aimais pas trop le travail de la terre car c’était une activité difficile. Mais maintenant, cela me procure beaucoup de joie. 

 

Quand je me suis mariée, je suis partie vivre à Beyrouth avec mon mari. Il n’y a pas d'école dans la région de Qawzah, c'était donc une contrainte, je ne voulais pas éloigner les enfants de l’école. Nous travaillions dans la région de Beyrouth et le week-end nous allions dans les terres. Mais nous voulions vraiment faire quelque chose pour Qawzah. Quand les enfants ont eu 10-11 ans, nous nous sommes reinstallés dans le village. Avec l’accompagnement de Fair Trade Lebanon, nous avons pu produire et vendre dans cette petite région, et avoir un revenu constant. Aujourd’hui, les enfants ont construit leur vie professionnelle à Beyrouth mais continuent à être attachés au village et à y revenir régulièrement, c’est une fierté pour moi.

 

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