Déclaration publique - Paris, le 10 juin 2016 - declaration_publique_-_l_union_europeenne_fait_chanter_les_pays_africains_po (...)
Depuis les années 2000, l’Union européenne négocie des Accords de Partenariat Économique (APE) avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) regroupés régionalement, en substitution des anciens accords de Lomé et de Cotonou, devenus obsolètes aux yeux de l’OMC. Ces Accords se traduiraient par l’ouverture des marchés des pays du Sud à la plupart des produits en provenance de l’Union européenne.
En raison des fortes réticences exprimées depuis de nombreuses années, tant par les sociétés civiles1 que par les États, certains APE régionaux (avec l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Australe et l’Afrique de l’Est) n’ont toujours pas été signés. En cause, diverses retombées négatives attendues de ces APE2 : concurrence disproportionnée sur les marchés agricoles africains, perte de recettes douanières essentielles aux budgets des États (en particulier pour les services publics tels que la santé, l’éducation ou encore les infrastructures et le soutien à l’agriculture familiale), absence de nouveaux et/ou réels avantages à l’entrée et/ou maintien de l’accès au marché européen etc. L’UE a exercé diverses pressions de nature différente (chantage à l’aide au développement notamment), et a négocié individuellement des accords dits intérimaires avec certains pays pour accentuer la pression sur ceux qui refusaient de conclure l’Accord régional.
Aujourd’hui, après le paraphe sous pression de trois APE régionaux en Afrique en juillet 2014, l’UE renforce sa stratégie de déstabilisation pour forcer la signature et la ratification de l’Accord, indispensables pour sa mise en œuvre, en dépit du péril que représentent ces accords pour le développement de certains secteurs économiques dans ces pays, ainsi que les processus d’intégration régionale.
Le document fuité révèle que la Commission européenne a organisé une « réunion d’experts » des États membres pour discuter de documents (« actes délégués ») déjà rédigés qui prévoient dès le 1er octobre 2016 le retrait -arbitraire- des préférences d’accès au marché européen pour les pays africains non PMA3. Si donc les APE régionaux paraphés en juillet 2014 ne sont pas ratifiés avant cette date, les exportations des pays non-PMA seront frappées de droits de douane (augmentés).
Lors de cette réunion ad hoc « d’experts » du 23 mai 2016, la Commission a présenté une première version d’un acte délégué à la Régulation sur l’Accès au Marché européen, visant à exclure dès le 1er octobre 2016 de la liste de pays africains bénéficiant d’un accès privilégié les 6 pays non PMA suivant : Ghana, Côte d’Ivoire, Kenya, Botswana, Namibie, Swaziland.
La raison invoquée pour cette sanction est le retard qu’ont pris les processus de signature des différents APE dans ces régions. L’Union européenne avait fixé, unilatéralement et sans nécessité légale, la date du 1er octobre 2016 comme date limite pour la ratification des APE, après quoi les pays non PMA perdraient leur accès privilégié au marché européen. Cette date limite est supposée s’appuyer sur la Convention de Vienne sur le droit des traités qui impose aux États de ratifier des accords internationaux dans un délai raisonnable.
Il est difficile de comprendre pourquoi la ratification d’un accord qui est signé en juin (Afrique australe) ou en juillet (Afrique de l’est) dépasserait déjà « un délai raisonnable » en octobre. Or, même si toutes les régions signaient les APE cet été (y compris l’Afrique de l’ouest), la ratification nécessiterait une discussion au sein des parlements, comme toute démocratie le requiert ! Il s’agit donc pour l’UE de forcer les État africains non seulement à signer mais à accepter la mise en œuvre provisoire des APE, avant même que les débats démocratiques aient eu lieu, en créant des tensions entre les États.
En Afrique de l’Ouest, le Nigeria et la Gambie refusent encore de signer l’APE régional, pour les raisons légitimes qu’il aurait des conséquences négatives sur l’industrialisation du pays et globalement sur l’économie et la société. La Côte d’Ivoire et le Ghana, eux, ont signé l’APE régional, et sont désormais menacés de perdre leurs accès préférentiel au marché européen. Ces deux pays se voient donc obligés de signer et ratifier ou provisoirement appliquer les APE intérimaires nationaux qu’ils avaient paraphés séparément en 2007. Ce faisant, ils (ou plutôt la Commission européenne) mettent en péril le marché régional ouest africain dont la construction a demandé beaucoup d’efforts.
Loin de s’interroger sur la pertinence de cet accord et d’entendre les voies des sociétés civiles européennes et africaines ainsi que de certains États africains, l’Union européenne cherche encore une fois, par le chantage, à semer la discorde politique dans ces ensembles régionaux en espérant arriver à ses fins sans tenir compte des impacts néfastes de sa politique néo-coloniale. Cette nouvelle tentative de l’Union européenne visant à forcer les pays africains à ratifier ou mettre en œuvre immédiatement les APE, en dépit des critiques, et la création de conditions politiques menant à la destruction des intégrations régionales en Afrique sont proprement scandaleuses et vont à l’encontre des déclarations de l’Union européenne sur son soutien au développement en Afrique.
Nous appelons donc le Parlement et le Conseil européen :
- À rejeter l’adoption de ces Actes délégués qui sont des moyens illégitimes de pression politique contradictoires avec les valeurs de l’Union européenne ;
- D’écouter les nombreuses voix4 qui s’élèvent contre les APE et de ne pas approuver ces accords.
Contact presse :
Lala Hakuma Dadci – AITEC- Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - +33 1 43 71 22 22
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