“On encourage les producteurs et les productrices à être auto-suffisant⋅es, on les accompagne vers l’autonomie.”
Quels sont les plus gros défis que vous rencontrez au quotidien ?
Aujourd’hui, le plus grand défi est le phénomène climatique El Niño. La production agricole s’est complètement arrêtée à cause des vagues de chaleur extrême et du manque de pluie. El Niño avait déjà frappé il y a quelques années, mais ce n’est pas comparable à ce qu’il se passe maintenant. Quatre mois sans pluie, ce n’est pas normal, c’est extrême, et l’eau vient à manquer. Ces derniers temps, il fait jusqu’à 48 degrés. Tout ça est très mauvais pour le secteur agricole. Cette année, 40 à 50% de nos plants de canne à sucre sont déjà morts. Les producteur⋅ices commencent à chercher du travail en ville pour subvenir aux besoins de leur famille. Même les cocotiers et les bananiers meurent. Il n’y a qu’en montagne que les plantations n’ont pas été affectées.
Le phénomène La Niña, qui suit généralement El Niño, provoque au contraire des pluies intenses et des inondations. Il y a un grand barrage sur l’île de Panay qui risque de se briser si l’eau s’y accumule démesurément. Beaucoup de villes, qui n’ont jusqu’ici jamais connu d'inondations, vont probablement y être confrontées.
Il y a aussi la situation politique qui rend l’économie philippine instable. Nous avons subi une inflation de près de 9% en 2022. Le PFTC a baissé sa marge pour absorber le manque à gagner et ne pas trop pénaliser les producteur⋅rices, mais nous avons perdu beaucoup d’argent. Encore aujourd’hui, les Philippin⋅nes souffrent d’une inflation qui oscille entre 3 et 5%. Tout devient plus cher : l’essence, l’électricité, les factures d’eau... Les grosses multinationales comme Shell ou Caltex, elles, ont bénéficié de cette inflation.
Comment sont réparties les terres aux Philippines ? Est-ce que les producteur⋅rices possèdent les terres sur lesquelles ils et elles travaillent ?
La grande majorité des producteur⋅rices loue la terre sur laquelle ils et elles cultivent, pour 5 000 pesos (80 euros) par mois environ. Les producteur⋅rices ne possèdent que très rarement les terres. Cependant, la loi les protègent : lorsque les propriétaires veulent en récupérer l’usage, une compensation doit être payée. D’autres achètent la terre aux propriétaires, ou en héritent.
Pendant la colonisation espagnole, les colons ont promis des terres aux Philippin⋅nes en échange de leur loyauté envers la couronne, mais aucun document officiel n’a été produit. Le Royaume d’Espagne a ensuite perdu face aux Etats-Unis et vendu les Philippines pour 300 000 dollars. Le recensement cadastral s'est fait pendant la colonisation américaine. Des leaders communautaires, appelé⋅es les “Barangay captains”, ont été désigné⋅es et ce sont aujourd’hui ces personnes qui sont les grands propriétaires.
Une réforme agraire a été initiée par des membres du Congrès à l’époque de la présidente Corazon Aquino (dans les années 80), mais elle ne représentait que les intérêts des ministres, médecins, avocat⋅e⋅s, architectes, toutes et tous lié⋅e⋅s aux propriétaires des terres. Cette loi a donc eu de grandes faiblesses dans sa mise en œuvre.
Pour ce qui est du secteur du sucre, la production est dominée par de grandes compagnies. Coca-Cola, Nestlé et Pepsi sont les principaux propriétaires des usines de transformation. La plupart des plantations sont possédées par de grands propriétaires, des hommes et femmes politiques, des personnalités du monde des affaires chinois… Ils et elles achètent souvent des parcelles aux producteur⋅ices à prix faible pour les revendre ensuite beaucoup plus chères une fois aménagées.
Dans ce contexte, qu’apporte le PFTC aux producteur⋅rices ?
Au sein du PFTC, les moulins ont été construits petit à petit avec le soutien de partenaires internationaux de commerce équitable. Historiquement, ce sont le gouvernement autonome de Bolzano (en Italie) et le groupe Altromercato qui ont financé les premiers moulins. Ils appartiennent aujourd’hui aux coopératives, un seul appartient au PFTC. Le fait d’avoir les moulins sur place réduit les coûts et le temps de transport et garantit un sucre de meilleure qualité (la canne doit être transformée rapidement pour garder le meilleur de sa saveur). Alors que devant les grosses centrales de transformation, il y a des milliers de camions qui attendent, ça prend parfois plusieurs jours. La construction des moulins sur place crée des emplois pour tout le monde. Cela évite l’exode rural et permet aux travailleur⋅euses de ne pas se séparer de leur famille pour chercher du travail en ville. Les enfants peuvent aller à l’école, certains vont même à l’université et sont diplômés.
Le PFTC apporte surtout une assistance technique aux producteur⋅rices : la garantie de l’agriculture biologique, des formations pour le respect des bonnes pratiques agricoles ou pour gérer les finances. Nous offrons aussi des crédits sans intérêt pour l’exploitation de leurs moulins. Nous encourageons les producteur⋅ices à être autosuffisant⋅e⋅s. Nous les accompagnons vers l’autonomie en les aidant avec les permis commerciaux, les licences d’exportation, les déclarations douanières, les rapports annuels, etc… tout ce qui est demandé par le gouvernement. Nous espérons qu’un jour toutes et tous seront capables de se conformer seul⋅e⋅s. Il n’y a aujourd’hui qu’une seule coopérative qui est autonome dans ces démarches.
Par ailleurs, la prime de développement que reçoivent directement les coopératives permet de financer différents projets décidés par les communautés : amélioration de l’accès à internet, création de cantines coopératives, couverture des frais médicaux et d’hospitalisation, etc.
A côté de ça, le PFTC continue de se battre pour l’obtention d’une véritable réforme agraire et soutient ses producteur⋅ices lors de manifestations. Nous payons les frais de transport pour qu’ils et elles puissent se rendre en ville et faire entendre leur voix, notamment lors de la journée internationale du travail.