Du travail des enfants dans le secteur du cacao à la multiplication des feux mettant en péril l’Amazonie, les violations des droits humains et les atteintes à l’environnement causées par l’activité des multinationales marquent régulièrement l’actualité. La pandémie de Covid-19 n’a fait qu'aggraver cette situation en multipliant les scandales trop fréquents dans ces chaînes de valeur mondialisées.
A ce jour, une seule loi au monde rend les multinationales responsables des atteintes aux droits fondamentaux causées par leurs activités et celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants à l’étranger : la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, adoptée en 2017.
Fruit de plusieurs années de combat de la société civile et de parlementaires, cette loi unique fête ses quatre ans aujourd’hui. Elle demeure une loi pionnière et essentielle. Néanmoins, elle comporte certaines faiblesses, et une législation nationale seule ne suffit pas.
Depuis de nombreuses années, la société civile dénonce l’absence d’un cadre international permettant aux victimes des multinationales d’obtenir justice devant les tribunaux. Une situation d’injustice d’autant plus inacceptable que des milliers de défenseur.se.s de l’environnement et des droits humains ou des syndicalistes sont menacé.e.s et persécuté.e.s quand ils dénoncent les agissements d’entreprises. L’année 2019 a enregistré le plus grand nombre de défenseur.se.s de l’environnement assassinés. La situation des femmes est particulièrement préoccupante : les abus des multinationales les affectent plus fortement, et leur chemin vers la justice reste semé d’embûches qui leur sont propres.
Aujourd’hui, nous avons une réelle opportunité. Poussé par les ONG et syndicats mobilisés dans toute l’Europe, le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, s’est engagé, il y a un an, à proposer une législation contraignante sur le devoir de vigilance des entreprises. Le rapport d’initiative sur le sujet porté par l’eurodéputée Lara Wolters, a été voté à une large majorité au Parlement européen le 10 mars dernier. Si plusieurs dispositions de ce texte sont à saluer car elles prennent en compte une part des revendications de la société civile pour une responsabilité effective des multinationales, il n’est encore pas à la hauteur.
Pour que la future directive garantisse un réel accès à la justice pour les personnes affectées, elle doit concerner toutes les entreprises et couvrir tous les secteurs, et engager leur responsabilité juridique pour les violations et dommages qu’elles causent tant sur le territoire européen qu'à l’étranger. Enfin, elle doit garantir la consultation des communautés affectées et des syndicats dans toutes les étapes du processus de vigilance.
Pendant des années, les entreprises ont demandé qu’on leur fasse confiance en mettant en avant leurs « engagements volontaires » à respecter les droits humains et l’environnement. Cependant, le fossé entre leurs paroles et leurs actes est toujours plus flagrant. Il est temps d’adopter et de faire appliquer des législations réellement contraignantes, afin de les rendre redevables de leurs actes devant la justice.
Alors qu’un traité est en négociation à l’ONU depuis sept ans déjà, la loi sur le devoir de vigilance est une brèche dans leur impunité. Il faut l’étendre aux niveaux européen et international.
Vue comme cheffe de file en la matière, la France se doit de poursuivre le travail amorcé avec la loi sur le devoir de vigilance et ne pas céder aux pressions des lobbies économiques qui d’ores et déjà réclament une directive au rabais. La mobilisation des citoyen·ne·s témoigne de l’attachement des Européen·ne·s à s’assurer que les entreprises ont des pratiques respectueuses de l’environnement et des droits humains. Des voix que l’Union européenne ne peut plus ignorer. Alors seulement, elle pourra se targuer d’être un espace où la justice sociale et environnementale prend le pas sur la recherche de profits à tout prix.