#50ans : Témoignage de Jean Huet
le 15 mai 2024 par Fédération Artisans du Monde
le 15 mai 2024 par Fédération Artisans du Monde
A l'occasion du cinquantième anniversaire d'Artisans du Monde, nous souhaitons mettre en lumière les personnes qui ont contribué à faire de notre mouvement un modèle novateur, durable et progressiste. Pendant cinquante ans, vous avez toutes et tous contribué au rayonnement de notre association. C'est pourquoi, chaque mois tout au long l’année, nous partagerons avec vous le témoignage d'une personnalité emblématique ayant joué un rôle historique au sein d'Artisans du Monde.
Pour continuer cette série, nous vous invitons à découvrir Jean Huet dont le parcours au sein d'Artisans du Monde est passionnant.
De ces récits inspirants, nous souhaitons aussi remercier ces personnes et tous les membres d’Artisans du Monde qui ont été et qui continuent d’être une véritable force pour le commerce équitable.
- Qui êtes-vous et quel est votre lien avec Artisans du Monde ?
Je suis Jean Huet et mon lien avec Artisans du Monde a commencé jeune. A la sortie du lycée, j’ai eu la volonté de devenir acteur et non plus spectateur, je souhaitais avoir du pouvoir politique. Engagé en 2005 à Montpellier, je me suis rapidement impliqué dans le mouvement, d’abord à la Commission Éducation Nationale en 2006, puis au conseil d’administration de la fédération en 2007 et jusqu’en 2015. J’avais 23 ans lorsque j’ai été à la coprésidence en 2011, avec Marie-Paule Jamet.
Mon mandat est le fruit du hasard : je ne suis pas né dans un milieu militant et ni adepte du commerce équitable. Mais aujourd'hui, je peux dire que ça a changé ma vie. Le militantisme à Artisans du Monde a été structurant pour moi, il m’a amené à être un acteur de l’économie sociale et solidaire, que je ne pense plus quitter au niveau professionnel, puisque maintenant je travaille dans le secteur des SCOP et des SCIC en Occitanie, à Montpellier.
- Quel a été votre souvenir le plus marquant ?
D’abord, il y a eu la participation à deux forums sociaux mondiaux, le premier à Belém en 2009 et le second à Tunis en 2015 ;
C’est un souvenir marquant, car on se rend compte qu’on participe à un mouvement plus global que le commerce équitable et qui dépasse les frontières de la France. On comprend qu’on est acteurs à la fois d’une utopie de changer le monde, et à la fois de l’existence d’une convergence des luttes, de ce qu’il faut arriver à faire et à relier pour faire qu’un autre monde soit possible. De plus, c’était l’occasion d’y participer avec des partenaires producteurs sur leur territoire. Par exemple, à Belém, on était avec des producteurs de Guarana. C’était un moment marquant, d’autant plus que c’était mon premier voyage hors Europe. Cette frénésie, cette vitalité qu’on sent dans les forums sociaux, c’était extraordinaire. Puis, on était connecté avec les militants restés en France. On avait beaucoup relayé les événements, les tables rondes, les échanges. C’était une semaine vraiment passionnante.
Un moment marquant a aussi été lorsqu’en assemblée générale, on a enfin décidé de ne plus utiliser la certification Max Havelaar. C’était un risque, car ils étaient encore la référence, quelque chose de visible pour les consommateurs. Mais on a pris le parti d’aller encore plus loin dans la filière intégrée, donc de vraiment continuer à afficher notre certification à nous, WFTO, la certification internationale, qui ne certifie pas tant les produits que les organisations. Ce vote, en 2012, a été le fruit d’un long débat, que je mets aussi au rang des victoires.
Ensuite, il y a eu le 40ᵉ anniversaire d’Artisans du Monde en 2014. J’étais coprésident et ça a été l’occasion de fêter 40 ans de batailles, de victoires, d’implantation territoriale, d’impacts pour les producteurs et productrices. On avait essayé de faire une année assez dense avec de nombreux événements, notamment autour de la Quinzaine du Commerce Équitable.
Pour finir, je garde de grands souvenirs des Fair Pride. Pendant 2-3 ans, on a fait des marches dans Paris, avec des batucadas, des délégations d’Ethiquable, de Max Havelaar et Fair’ Commerce Equitable, en l’honneur du commerce équitable. Ça a permis de dynamiser les codes de nos événements et donc, ce sont des moments dont je me souviens de manière assez sympathique.
- Pour vous, quelles sont les victoires remportées par Artisans du Monde en 50 ans ?
La première victoire d’Artisans du Monde, c’est d’avoir été à l’initiative du Commerce Équitable en France. Et en plus, c’est de ne pas le penser seulement dans une logique commerciale, mais parce qu’on associe commerce et équité, de le penser avec une visée politique. Pour moi, c'est une victoire d’avoir un vrai triptyque du commerce équitable, en associant l’éducation et le plaidoyer. C’est une victoire culturelle et idéologique de dire qu’un autre monde est possible, mais aussi de pouvoir le prouver, de pouvoir « faire » qu’un autre monde soit possible. C’est ce qui fait notre force unique chez Artisans du Monde. Ce n’est pas pour rien que c’est une victoire, car d’autres après nous ont rejoint et se sont impliqués aussi.
Ensuite, il y a l’idée que le mouvement Artisans du Monde s’est lancé dans un contexte mouvementé, à une échelle internationale et s’est toujours ancré dans l’appui aux producteurs, même dans des zones de conflit. Je pense dans cet exemple aux producteurs chiliens, avec nos partenariats pendant la dictature de Pinochet. On a aussi beaucoup lutté contre l’apartheid en Afrique du Sud, en boycottant entre autres les oranges. Et puis, depuis longtemps, Artisans du Monde a soutenu toutes les filières au Proche-Orient, en particulier en Palestine, pour le zaatar, l’huile d’olive…Ce n’est pas juste un revenu plus digne, c’est un revenu plus digne, durable et surtout qui permet de structurer des filières et la plupart du temps des groupements collectifs territoriaux. Et ça, pour moi, c’est fondamental.
Et puis, pour moi, ce qui fait fondamentalement la différence, c’est la filière intégrée. En 2005, on a fait le choix stratégique de refuser d’aller en grande distribution. Cela s’est produit parce qu’on avait une vision d’une filière équitable de A à Z, du producteur au consommateur. Ce choix, en 2005, est une victoire importante, car on ne peut pas penser le commerce équitable seulement du côté commercial, il doit y avoir une visée politique.
Derrière, nous avons confirmé et structuré la certification WFTO en participant à sa structuration à l’échelle internationale, et en décidant en 2012 de ne plus utiliser celle de Max Havelaar. La filière intégrée, c'est finalement la colonne vertébrale du mouvement.
Et puis il y a le fait d’être dans un mouvement, toujours en collectif, toujours investi dans un réseau et jamais seul. Que ce soit le CFSI, CRID ou Commerce équitable France, on s’est toujours pensé dans une lutte générale et c’est par ces biais-là qu’on a eu des victoires riches de sens, pas qu’en solitaire.
- Que souhaitez-vous à Artisans du Monde pour ces 50 prochaines années ?
Depuis 1974, on est dans l’utopie, on pense qu’un autre monde est possible, qu’on peut le générer, le créer, le produire pour les générations futures. Et je pense qu’à l’avenir, dans les choix à faire, il faut éviter la facilité et qu’il faut rester dans la filière intégrée. C’est un facteur clé qui m’a convaincu lorsque j’étais militant. Et je pense que cette utopie n’empêche pas d’être dans le réel et de voir ce qui doit être fait pour évoluer.
Ensuite, à l’avenir, il est important de toujours garder cette vision d’un commerce équitable politique, c’est-à-dire d’un commerce qui doit toujours développer la pédagogie active et de l’éducation populaire. Il faut essayer de faire que de plus en plus de gens comprennent, prennent conscience par eux-mêmes qu’il faut changer, que le monde tel qu’on le connaît n’est pas viable, ni humainement, ni sur le plan environnemental. Ce sont des axes qui méritent de continuer à être développés.
Concernant la filière intégrée, je pense qu’il y a un cap à passer et qu’il ne sera pas simple. Il ne se fera pas seul. C'est la dimension transport qui n’est pas équitable. Il y a des dynamiques comme Windcoop et d’autres acteurs qui se développent là-dessus et ce serait intéressant d’y participer également. On devrait faire que l’ensemble de la filière, au-delà des producteurs, soit entièrement dans la dimension équitable.
J’aimerais également que la centrale d’achat Solidar’Monde, se transforme en coopérative, à l’image finalement de la filière intégrée. C’est-à-dire devenir un acteur qui rassemble, des producteurs jusqu’aux consommateurs, des gens qui sont intéressés par le commerce équitable et la filière intégrée et qui souhaitent mettre des moyens en commun pour réaliser cela. Et aussi donner le choix en faisant que la centrale d’achat ne soit pas seulement la centrale d’achat du mouvement artisans du monde, mais de la marque artisans du monde, qui soit représentative de la filière intégrée. Cette évolution en coopérative, qui, à un moment donné, avait été débattu, mériterait d’être revitalisée, car elle pourrait être source de 50 riches futures années, en inventant la première structure coopérative intégrant l’ensemble des acteurs de la filière intégrée et donc représentative de ce qu’est WFTO.
Et puis il faut à mon avis renouveler notre modèle de vente en essayant de s’ouvrir à d’autres manières de faire. C’est-à-dire ne pas se limiter au modèle associatif basé sur le bénévolat. On pourrait s’ouvrir à d’autres initiatives comme les supermarchés coopératifs ou les commerces locaux. On aurait intérêt à lancer des appels à initiative pour que de nouvelles dynamiques locales nous rejoignent, et essayer d’inventer autre chose, complémentaire au modèle associatif. Il y a cet enjeu à se renouveler pour les 50 prochaines années, si on veut continuer de faire vivre cette filière intégrée.
Et pour finir, il me semble évident de continuer à apporter notre soutien aux producteurs de toute nature et dans la durée. Et en particulier à des luttes pour des peuples qui vivent des difficultés. Je pense par exemple aux Palestiniens, j’imagine que ce n’est vraiment pas simple les relations actuelles. Je pense que le commerce équitable participera à la paix entre les peuples. Je pense qu’il faut toujours être très attentif à ces espaces-là et être dans la mise en lumière des situations des producteurs.
Jean Huet
Ce site utilise des cookies pour mesurer l’audience et vous offrir la meilleure expérience. En poursuivant votre navigation sans modifier vos paramètres, vous acceptez leur utilisation. En savoir plus J'accepte