Actualités nationales

3 questions à... Corr the Jute Works

le 26 juin 2024 par Fédération Artisans du Monde

Entretien avec Shishir Anjelo Rozario, directeur de Corr The Jute Works (organisation d’artisanat au Bangladesh, partenaire d’Artisans du Monde), à Montreuil en mai 2024.

“L'artisanat équitable n'apporte pas seulement un revenu aux femmes, mais une éducation et du lien social.”

 

 

Comment les artisanes s’organisent-elles au sein de CJW ?

 

 

Les groupes d’artisanes se forment au sein d’un même village et sont composés d’au moins 15 femmes. C’est parfois nous qui proposons de monter un groupe : nous allons parler aux femmes d’un village et si elles sont intéressées, nous les formons. Parfois, ce sont elles qui viennent à nous. Chaque groupe élit une cheffe, une trésorière et une secrétaire. CJW leur transmet toutes les compétences nécessaires, que ce soit sur le plan technique ou managérial.

Pour ce qui est de la gouvernance de CJW, nous avons divisé le pays en 5 régions. Pour chacune d’entre elles, une artisane est élue au conseil d’administration pour 3 ans. Nous envoyons aux groupes d’artisanes les critères et elles proposent une personne pour les représenter. 

 

 

Quand notre équipe de designers conçoit un nouveau produit, ils et elles calculent combien coûte et combien de temps prend la confection d’une unité. Nous en discutons avec certaines artisanes et un prix est fixé pour 1h de travail. CJW envoie les quantités de matière première nécessaire et s’occupe de récupérer les produits finis pour les envoyer à Dacca. Pour certains produits, les femmes viennent travailler dans nos ateliers, mais la plupart du temps, elles peuvent travailler depuis chez elles.

 

 

En quoi l’artisanat équitable permet-il l’autonomisation des femmes au Bangladesh ? 

 

 

La société bangladaise est traditionnellement patriarcale. Selon la tradition et la religion, les hommes ont le pouvoir et les femmes sont considérées comme étant de “seconde classe”, elles sont supposées être dépendantes du mari. Grâce à l'éducation, les choses changent, les femmes sortent et vont travailler. Il y a 20 ans, très peu de femmes travaillaient. La situation évolue progressivement même si elles sont toujours responsables de l’éducation des enfants. La polygamie est aussi une pratique qui peut encore arriver. Alors les femmes ont peur d'être divorcées, c'est une pression mentale. Malheureusement aussi au Bangladesh, nombreux sont les cas de viols, de tortures ou de mariages précoces par les parents même si elles n'ont pas encore 18 ans.

 

 

L’artisanat équitable permet aux femmes d’avoir un revenu et de contribuer à celui de leur famille, ça leur accorde de l’importance et du respect de la part des autres membres de la communauté. Lorsqu'elles restent seules à la maison, elles n'apprennent pas, mais lorsqu'elles sont dans un groupe d’artisanes, elles acquièrent des connaissances et de l'expérience, elles sont plus conscientes et sensibilisées aux questions sociales, de genre, de santé, d'environnement... Elles peuvent faire entendre leur voix, discuter entre elles et parfois même parler des violences qu’elles peuvent subir. Cela les aide vraiment. Si elles ont des difficultés, le groupe les soutient. L'artisanat n'apporte pas seulement un revenu, mais une éducation et du lien social.

 

 

Au sein de CJW, nous proposons des programmes de santé, des allocations sociales, des ateliers de plantations d’arbres, des distributions de vêtements chauds en hiver… Nous avons également des fonds pour aider les artisanes en cas de maladie grave. Elles bénéficient aussi de la prime de développement qui leur permet d’avoir un compte en banque, pour épargner ou faire un prêt en cas de besoin. Avec cet argent, elles peuvent louer une parcelle de terre ou aider un proche dans un moment difficile. Nous n'intervenons pas dans la gestion de la prime, mais nous les encourageons à en faire quelque chose.

 

 

Comment soutenez-vous les communautés marginalisées ?

 

 

CJW essaie d’aider les communautés discriminées comme les travailleur⋅euses des plantations de thé, les communautés autochtones (Garo, Santal) et les personnes appartenant aux basse castes.

 

 

Dans les plantations de thé au Bangladesh, les revenus sont si faibles que les travailleur⋅euses ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école. Le travail des enfants y est courant. Cela fait un an que nous travaillons avec ces personnes. Nous leur proposons une nouvelle source de revenu grâce à l’artisanat, ils et elles peuvent alors combiner les revenus des plantations et ceux du travail artisanal. Le problème, c’est que le nombre de nos commandes diminue alors nous ne pouvons pas toujours leur donner beaucoup de travail. 

 

 

Les communautés autochtones avec lesquelles nous travaillons (Garo, Santal) ne sont pas reconnues par le gouvernement. Cela fait des années qu’ils et elles vivent ici, mais ne sont pas considéré⋅e⋅s comme étant des Bangladais⋅es. Leur langue n’est pas reconnue et l’enseignement à l’école est en bengali. Les professeurs ne s’en soucient pas, alors souvent les enfants autochtones qui ne parlent pas cette langue couramment abandonnent. Récemment, une campagne de plaidoyer de Caritas et d’autres associations a abouti à l’introduction du programme scolaire en 5 langues différentes. Mais malheureusement, nous manquons de professeurs compétent⋅es pour le mettre en œuvre.

Traditionnellement, les communautés autochtones travaillent dans les champs, alors quand les femmes peuvent faire de l’artisanat, cela profite à toute la famille. Avec nous, le travail est flexible, elles peuvent travailler quand elles veulent. Pendant la saison des récoltes, elles travaillent dans les champs, et pendant la saison creuse, elles peuvent faire de l’artisanat. Certaines communautés ont des savoir-faire traditionnels comme la communauté Santa qui travaille le bambou. Les femmes savent déjà comment faire, nous leur permettons juste de vendre leurs produits à l’international et de gagner de l’argent. 

 

Il y a enfin les personnes de basses castes. La communauté Rishi, par exemple, subit de nombreuses discriminations. Les gens ne veulent pas se mélanger à ces personnes dans l’espace public. Petit à petit, la situation s’améliore mais économiquement parlant, leurs conditions ne sont toujours pas bonnes. Elles travaillent souvent dans des salons de coiffure, des cordonneries, des épiceries ou comme agentes de nettoyage. Ce genre de métiers ne garantit pas de revenus réguliers. Ça les soutient vraiment quand on travaille avec elles.

 

Pour aller plus loin

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